Jean-François Zygel :
“Composer un morceau,
c’est devenir maître d’un
fragment de temps”
A une époque de profondes mutations, le rapport au temps est chamboulé. Nous avons invité des personnalités et des anonymes de tous horizons à se confier sur ce vaste sujet. Cette semaine, le pianiste Jean-François Zygel.
Compositeur, improvisateur, Jean-François Zygel ne s’arrête pas. Il enchaîne les concerts dans toute l’Europe et en France où il se produit tous les mois à Paris, Salle Gaveau, ou au Théâtre du Châtelet dans des formes de concerts différentes. Mais c’est toujours au piano qu’il tente de faire revivre les grands noms de la musique, de la littérature ou du cinéma.
Les deux matières principales d’un musicien sont le son et le temps. Le son car le compositeur imagine l’orchestration, l’harmonie, les rythmes, les mélodies. Et le temps car composer un morceau de musique, c’est devenir maître d’un fragment de temps. Ce n’est malheureusement pas le cas dans la vie où il s’impose à nous. Les musiciens prennent ainsi leur revanche ! Par ailleurs, le compositeur a toujours le secret espoir que ses compositions soient jouées et entendues après sa mort et, de ce point de vue, c’est encore un défi à la marche du temps que de se projeter ainsi dans le futur.
“Improviser me permet de voyagerdans le temps, d’enreculer sans cesse les limites, avec émerveillement.”
Le musicien peut aussi jouer avec le temps au sein même de l’œuvre, par exemple placer un thème au début et le rappeler à la fin. Or, dans la vie, on ne peut jamais reprendre une scène. On ne peut pas rejouer une première rencontre par exemple, ou un bon moment, ni se dire qu’on a été mauvais et recommencer. En musique, on peut faire des reprises, travailler la forme et rêver de postérité. C’est la force du compositeur.
En tant qu’improvisateur, vous devez penser au moment suivant, réfléchir en jouant. Est-ce une course contre le temps ? Le présent, vos doigts sur le clavier, rejoignant le futur sans perdre le tempo.
En effet. Car l’improvisateur vit plusieurs temps à la fois. Sur scène, on est dans un état de semi-hypnose. Le temps est suspendu, on vit le celui de la musique tout en pensant au futur, à la suite du morceau qu’on est en train decréer. Comme un joueur d’échecs qui doit prévoir plusieurs coups à l’avance, l’improvisateur pense à ce qu’il s’est passé et à ce qui va advenir. L’improvisateur sur scène est donc à la fois dans le passé, le présent et le futur.
La musique est-elle une bonne façon de parler du temps ?
Mes concerts d’improvisation Salle Gaveau sont construits comme des hommages à un compositeur. Le prochain, en mars, sera consacré à Rachmaninov. Chaque improvisation part d’un thème du compositeur pour évoquer ce qu’il a été et ce qu’il représente pour moi. Un peu comme quand on parle de quelqu’un en son absence lors d’un enterrement. Au Théâtre du Châtelet, dans mes concerts « Enigma », c’est un roman qui constitue mon point de départ. Le prochain sera L’Écume des jours de Boris Vian. Le texte sera lu par Natalie Dessay, Yanowski et Flannan Obé, tandis qu’en compagnie de Médéric Collignon, Louis Moutin et Matyàs Szandai, j’imaginerai des prolongements musicaux, faisant apparaître et disparaître sentiments, situations et personnages.
Enfin, une autre partie très importante de mon métier depuis de nombreuses années est d’accompagner des films muets. Par exemple je viens d’accompagner Les Misérables (d’après Victor Hugo) au Théâtre du Châtelet, un film fleuve de plus de… six heures ! Orimaginer la musique d’un film muet, n’est-ce pas également faire revivre le passé dans le moment présent ?
Ces histoires de temps sont donc omniprésentes dans votre vie…
En en parlant, je me rends compte qu’en effet je passe mon temps à jouer avec le temps… Dans la religion juive, il est pensé comme circulaire. On vit autant avec les morts qu’avec les vivants. Dans le catholicisme, avec l’arrivée du Messie, on a créé une césure temporelle. Il y a le temps d’avant et le temps d’après : le temps a une direction. Créer de la musique, imaginer des spectacles, être sur scène et improviser me permet de voyager dans le temps, d’en reculer sans cesse les limites, avec émerveillement.
Les concerts Enigma au théâtre du Châtelet, Paris 1er. Jusqu’au 18 avril. Prochain concert : « L’Ecume des jours », le 20 février 2016 à 20 heures. De 10 à 30 euros. Et la 8e Nuit de l’improvisation, le 21 juin 2016, à 19 heures. Gratuit et sur réservation. chatelet-theatre.com
Le classique selon Zygel, une fois par mois, 12h30. Salle Gaveau, Paris 8e. Prochaine session le 8 mars. www.sallegaveau.com
Le classique selon Zygel, une fois par mois, 12h30. Salle Gaveau, Paris 8e. Prochaine session le 8 mars. www.sallegaveau.com
Par Jérôme Badie
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/tant-de-temps/article/2016/02/19/jean-francois-zygel-composer-un-morceau-c-est-devenir-maitre-d-un-fragment-de-temps_4868242_4598196.html#V5VAbJq72QitqDZ0.99
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