« La raison pour laquelle nous sommes systématiquement très bien notés dans les classements PISA de l'OCDE, c'est précisément le fait que nous avons dans le programme scolaire une éducation artistique complète et obligatoire dès les premières années pour tous les élèves. » Antti Juvonen, professeur de la pédagogie des arts à l’Université de Savonlinna, révèle des ingrédients de la recette-miracle des Finlandais.
Citons quelques noms : Rautavaara, Lindberg, Kaija Saariaho, Karita Mattila, Jukka-Pekka Saraste ou Esa-Pekka Salonen, les Finlandais interprètes ou compositeurs portent haut les couleurs de leur pays dans le monde musical. La Finlande est mélomane : elle compte aujourd’hui une trentaine d’orchestres professionnels ou semi-professionnels, 45 festivals de musique annuels, dont le renommé Savonlinna Opera Festival. D'où vient cette excellence dans tous les domaines de la musique, dans ce pays d'à peine 5 millions et demi d'habitants, niché au nord de l'Europe ? La réponse est notoire : les Finlandais ont un excellent système d'éducation musicale.
Un système d'éducation musicale performant et largement soutenu par les pouvoirs publics, comme d'ailleurs tout le système éducatif finlandais, selon les classements PISA de l'OCDE, qui le place parmi les meilleurs au monde : « La raison pour laquelle nous sommes systématiquement très bien notés dans les classements PISA de l'OCDE, c'est précisément parce que nous avons dans le programme scolaire une éducation artistique complète et obligatoire dès les premières années pour tous les élèves, » explique Antti Juvonen, professeur de la pédagogie des arts à l’Université de Savonlinna dans l’est de la Finlande, qui forme les instituteurs du primaire en éducation musicale.
L'éducation musicale est une cause nationale
Une éducation musicale élevée en cause nationale, c'est l'origine historique de l’engouement des Finlandais pour la culture et les arts.
Timo Klemettinen, directeur de l'Association des écoles de musique de la Finlande :
« Nous avons tous appris que préserver notre culture et notre langue veut dire affirmer notre identité nationale, ce qui était particulièrement vrai à l'époque où la Finlande n'était qu'un champs de bataille entre la Russie et la Suède ».
Ainsi l'éducation artistique a-t-elle été intégrée dans le cursus scolaire depuis la fondation même de l'école publique en Finlande en 1866 et a joué un rôle majeur au cours du processus qui a mené à l’indépendance politique de la Finlande en 1917. Lorsque le cadre de l’éducation musicale prend forme après la Deuxième Guerre mondiale, on constate une pénurie sévère de professionnels de la musique qualifiés. Les orchestres sont fondés dans les grandes villes, mais les musiciens de qualité font défaut . Pour former les musiciens, il faut de bons professeurs. Le premier objectif fut donc de former les professeurs de musique, et par conséquent de créer un vivier de musiciens professionnels.
« La force principale du système éducatif en Finlande sont ses professeurs et ses enseignants. Ils sont tous formés avec la même exigence, peu importe le niveau pour lequel ils se spécialisent. Nous avons trois types d’enseignants de musique dans le système scolaire : les professeurs d’éducation musicale, les instituteurs avec une formation en éducation musicale et les enseignants spécialisés en éducation musicale, » détaille Antti Juvonen. Chant, théorie musicale et accompagnement à l’instrument font partie des compétences nécessaires pour enseigner en primaire. En 1957 la célèbre Académie Sibelius prend en charge la formation des maîtres en ouvrant un département pour la musique à l'école.
Des enseignants qualifiés et une approche exigeante
Depuis les années 1970, l'éducation musicale à l'école se développe en accéléré, financée systématiquement et de manière continue par le gouvernement finlandais.« L'éducation artistique a toujours été un argument politique, qui est toujours remis sur le tapis en période électorale. Les électeurs le demandent et les politiques le savent bien », précise Antti Juvonen.
Quant au programme scolaire, pendant environ 10 ans les élèves finlandais reçoivent une éducation musicale intégrée dans le curriculum : apprentissage d'un instrument, écoute, expression corporelle et activité musicale créative demandent un bagage considérable aux enseignants : «
L’éducation musicale est obligatoire pendant les huit années du primaire à raison d’une heure par semaine. A partir de la quatrième année, certaines écoles proposent les cours facultatifs d’une ou deux heures de plus, et il y a aussi des cours de musique spéciaux, au moins deux ou trois heures par semaine, pour les enfants qui veulent approfondir leurs connaissances et qui sont proposés par au moins une école dans la région ».
En effet,
les élèves finlandais assistent à en moyenne mille heures de cours en moins que leurs camarades européens et n'ont que très peu de devoirs. Leur journée se termine vers 14 heures et leur laisse du temps pour les activités sportives ou artistiques.
Dès l'âge de 7 ans, les élèves apprennent à écrire et à lire la musique, la théorie et l’histoire musicale, ont une initiation aux esthétiques musicales différentes européennes et extra-européennes. Plus les élèves grandissent, plus le programme devient exigeant. Ils apprennent à chanter la polyphonie et la théorie se complexifie. La pratique instrumentale est introduite par les percussions au début, et ensuite par la flûte à bec et le kantele, instrument traditionnel finlandais. Une fois dans l'enseignement secondaire, les élèves ont déjà acquis de solides bases en musique : l'éducation musicale devient une option au même titre que les autres disciplines artistiques, mais les arts doivent faire partie du parcours de chaque élève : « Lorsque le professeur de musique dans une école est particulièrement motivé, la vie musicale de l'établissement peut être extrêmement riche, avec au moins une chorale par école et de nombreuses occasions pour les enfants de s'exprimer en musique ».
Tous les élèves sont concernés. Comme l'explique Antti Juvonen, les élèves atteints d'un handicap ont le même accès à l'enseignement musical que les autres, puisqu'ils sont intégrés dans le système scolaire régulier - les écoles finlandaises sont inclusives depuis les années 1970 et disposent d'un encadrement spécial des élèves en difficulté, y compris en musique.
Un réseau dense d'écoles de musique
En parallèle, le réseau des écoles de musique est extrêmement répandu et stable, grâce au financement croisé du gouvernement et des municipalités défini par la loi depuis 1969. Une centaine d'établissements accueillent les élèves pour un enseignement spécialisé et sont présents même dans les territoires les plus éloignés du cinquième plus grand pays d''Europe : « Nous avons un système très fort d'écoles de musique depuis les années 1970 qui permet de faire de la musique dès le plus jeune âge. Il est relativement coûteux : en moyenne, l’enseignement dans les écoles de musique coûte 200 à 300 euros par année scolaire et il faut rajouter l’achat de l’instrument. Par contre, il est très bien implanté géographiquement, il existe des écoles de musique accessibles à moins de 20 km même dans des régions les plus éloignées, comme la Laponie. De ce point de vue on peut dire en effet que l'accès de chaque enfant à l'éducation musicale est assuré ».
Selon Timo Klemettinen, cité par Music in Australia, les écoles de musique sont financées à 57% par l'Etat et à 27% par les municipalités. Le coût pour les parents varie en fonction du positionnement géographique de l'établissement entre 1000€ par an à Helsinki et 200€ par an dans les zones rurales. Mais les écoles de musique dispensent les cours individuels d'instruments et proposent des cursus pour les élèves particulièrement doués et intéressés par la musique. « En règle générale, ce sont les écoles de musique qui forment les musiciens professionnels au départ, et ce dès le plus jeune âge. Il y en a qui proposent l'éveil musical même pour les bébés, et l'initiation à la musique à travers le chant et le jeu dans le préscolaire n'est plus une exception depuis longtemps. Mais dès le primaire, on aborde des apprentissages de manière sérieuse ».
La pédagogie praxialiste
Si l'enseignement musical à l'école est pris au sérieux, cela ne veut pas dire qu'il soit académique. Il puise l'inspiration dans
l’approche praxialiste, comme la définit
David J. Elliot, théoricien de l'éducation et musicien - une approche de l’éducation musicale qui est plus pragmatique qu’esthétique, selon
Antti Juvonen : «
Au cœur de la pédagogie se trouve l’expérience musicale. Nous mettons les élèves devant les instruments de percussion et les incitons à jouer et à chanter pour comprendre la musique non pas comme une abstraction, mais à travers la pratique et les sensations qu'elle réveille. Agir pour sentir et comprendre, avant d'intégrer un savoir théorique, c'est le principe de la méthode la plus souvent appliquée ».
Les cours de musique viennent d'abord soutenir le développement cognitif, émotionnel, moteur et social de l'enfant et nourrir ses capacités créatrices : « Nous croyons que l'éducation musicale, et plus généralement, l'éducation artistique dès le primaire est indispensable pour faire de nos enfants des adultes ouverts au monde, avec un savoir et un sens critique qui leur permettra ensuite de transmettre ces valeurs aux générations futures ».
Et ce n'est pas fini. A contrecourant de la tendance qui réduit les arts à l'école en Europe, la récente réforme de l'éducation en Finlande prévoit d'augmenter le nombre d'heures dans l'enseignement dédiées aux disciplines artistiques...